« Le private equity offre tout d’abord un cadre de travail particulièrement stimulant »

Rencontre avec Cyril Demaria, auteur de l’ouvrage  » Introduction au private equity : Les bases du capital-investissement  » paru chez La Revue Banque.

Est-ce que vous pouvez nous présenter votre parcours ?

Après des études en sciences politiques, en géopolitique, en droit des affaires et en entrepreneuriat à HEC, j’ai débuté dans un fonds américain de capital-risque. J’ai participé à plusieurs investissements dans des sociétés technologiques.

Après l’effondrement des valeurs technologiques en 2001, le fonds qui m’employait a réduit ses effectifs. J’ai ainsi rejoint une PME technologique où je fus en charge des acquisitions de concurrents en situation difficile. Je suis ensuite devenu conseil indépendant auprès de fonds et de jeunes pousses technologiques.

En 2005, je me suis installé à Zürich où j’ai rejoint un fonds de fonds. En 2006, après la publication de mon premier ouvrage (« Développement durable et finance », Maxima), trois associés et moi avons lancé un fonds de fonds innovant dédié au secteur environnemental. Parallèlement, j’ai rédigé la première édition de « Introduction au private equity », chez RB Editeur et j’ai commencé à l’enseigner dans le supérieur et aux professionnels.

La crise de 2007 nous a convaincus de mettre un terme à notre levée de fonds. J’ai ensuite conseillé le Président d’une banque mutualiste française dans le cadre de ses développements stratégiques, tout en continuant d’enseigner et d’écrire (notamment la deuxième et la troisième édition de « Introduction au private equity »). J’ai ensuite été à nouveau conseil indépendant auprès de fonds ; et de fonds de fonds à Zürich.

En parallèle, j’ai co-écrit un ouvrage dédié aux business angels (« Profession : business angels », avec Marc Fournier, chez RB Editeur). J’ai ensuite créé une structure de gestion de fortune en Suisse, que j’ai structurée avec l’aide d’une structure importante de la place de Paris. J’ai recruté les associés en Suisse et nous avons développé l’activité.

J’ai en parallèle co-rédigé un ouvrage sur le private equity suisse (« Le private equity suisse : marché, acteurs et performances », avec Maurice Pedergnana, SECA), et « Introduction to private equity » (John Wiley & Sons).

En 2009, j’ai lancé un petit fonds de capital-risque pour le compte de 17 investisseurs (Pilot Fish). Ce fonds compte désormais trois participations.

J’ai en parallèle débuté un doctorat à l’Université de Saint-Gall, où j’étudie les relations entre investisseurs et gérants de fonds de private equity. Après avoir revendu mes parts dans la société de gestion de fortune que j’avais créée, je suis redevenu conseil indépendant.

Je viens de terminer la publication de la quatrième édition de « Introduction au private equity », la deuxième édition de mon ouvrage sur le private equity suisse et j’ai terminé la mise à jour de mon ouvrage en anglais (qui a doublé de taille et devrait être publié en juillet 2013).

Pourquoi un ouvrage sur le private equity ?

Tout d’abord, parce que c’est un secteur qui demeure assez mal connu. Tout d’abord, parce qu’il y a une certaine confusion sur l’expression (traduite en français par capital-investissement). En effet, aux Etats-Unis, l’expression désigne le rachat d’entreprise par effet de levier (leveraged buy-out, ou « LBO ») alors qu’en Europe, cela désigne le financement des entreprises non cotées en général (capital-risque, capital-développement, LBO, capital-retournement et autres).

Le financement non coté n’est pas nouveau – il existe depuis que les sociétés ont été créées au plan juridique et qu’elles ont eu besoin d’investisseurs. Ce qui est nouveau, c’est la professionnalisation du métier d’investisseur en non-coté. Aux Etats-Unis, cette professionnalisation s’est amorcée au début du XXème siècle, et s’est nettement accélérée après la seconde guerre mondiale grâce à des changements réglementaires et fiscaux majeurs. En Europe, et en France, c’est au début de la décennie 1980 que le métier a connu un essor spectaculaire avec l’apparition de véhicules dédiés (FCPR, FCPI, FIP…).

Cependant, cette croissance fut si rapide et si spontanée que, hormis les professionnels et quelques initiés, le secteur fut largement ignoré du grand public. Il est quelque peu sorti de l’ombre aux Etats-Unis à l’occasion du retrait de cote de RJR Nabisco par un LBO à la fin de la décennie 1980. L’Europe en a surtout entendu parler avec le boom des jeunes pousses dédiées à Internet à la fin de la décennie 1990. Il est vrai que le secteur cultive un certain sens du secret et que la confidentialité joue un rôle significatif dans le succès historique de ce secteur d’investissement.

Aujourd’hui, le financement non coté représente une masse sous gestion estimée à l’échelle internationale d’environ 3 000 milliards de dollars (à comparer aux 2 200 milliards gérés par les hedge funds).

Le temps du secret est terminé : cet ouvrage a donc rencontré son public, fait tout d’abord d’étudiants et de professionnels qui souhaitent rejoindre ou participer au monde du financement hors cote, mais aussi d’entrepreneurs, de conseils et d’intermédiaires qui travaillent au contact de ces investisseurs et de ces entrepreneurs, ainsi que d’une manière générale d’un public avide de comprendre le fonctionnement, l’utilité et les limites de cet instrument de financement, de transfert et de redressement d’entreprises.

Quel est l’état du private equity en France ?

Le private equity français est à la croisée des chemins, très clairement. La France, aujourd’hui deuxième marché du private equity en Europe derrière le Royaume-Uni, a démontré historiquement sa volonté et sa capacité à structurer un secteur de financement non coté dynamique, efficace et attractif pour les investisseurs.

Cela fut construit patiemment par des innovations juridiques et réglementaires, des adaptations fiscales et la création patiente d’une place qui compte plus de deux cent sociétés de gestion qui s’auto-réglementent relativement efficacement et qui ont évité très largement les scandales qui ont par exemple émergé aux Etats-Unis.

C’est d’ailleurs la France qui a paradoxalement servi de modèle pour l’élaboration de la réglementation pan-européenne du secteur (Directive AIFM).

Cependant, si le mouvement de balancier européen a clairement évolué vers un modèle plus continental et moins anglo-saxon, la France souffre de maux qui lui sont propres et largement liés à son addiction aux recettes fiscales.

Ainsi, le secteur du capital-risque français vit sous perfusion fiscale, ce qui est préjudiciable à l’avenir de la profession. En effet, en voulant drainer l’épargne des ménages vers le capital-risque, la puissance publique a fait des sacrifices substantiels sur ses recettes fiscales (l’investissement dans les FCPI bénéficie d’un avantage fiscal plafonné de 25 %) en incitant des investisseurs largement conservateurs et peu enclins au risque à placer leur épargne dans un des segments les plus risqués de la finance – et ce au pire moment de la bulle Internet puisque cela a débuté en 1997.

Sans surprise, 70 % des FCPI ont perdu de l’argent au cours des 20 dernières années.

Or, la structure des FCPI, les critères d’investissement et les historiques de performance ont conduit les équipes de gestion à créer des fonds de taille insuffisante pour amortir des frais de placement et de gestion souvent trop élevés. Ces historiques de performances particulièrement décevants ont en retour dissuadé les investisseurs institutionnels de prendre le relais et le capital-risque français se trouve dans une situation difficile, où son attractivité face aux marchés étrangers est assez faible.

L’autre danger vient bien évidemment du retrait des banques et des assurances du monde non coté. Les changements de ratios prudentiels en sont à l’origine, car ils négligent complètement la spécificité du financement du non coté : le fait qu’il s’agit d’un investissement illiquide et de long terme. Pour les régulateurs internationaux et nationaux, échaudés par la dernière crise et le quasi-blocage du système financier en 2008, tout ce qui s’apparente à de l’illiquidité doit être pénalisé. C’est bien entendu une erreur, mais elle est désormais inscrite dans les réglementations et le private equity en souffre.

Or, la France n’a pas de relais de financements évidents, à la différence d’autres pays : elle n’a pas de caisses de retraites privées (appelées improprement en français « fonds de pension ») susceptible d’investir à long terme et de gérer les problèmes d’illiquidité ; elle n’a pas de fondations privées qui investissent non plus ; elle n’a que peu d’individus fortunés basés en France qui sont aptes à investir des sommes considérables en private equity et elle n’a pas à proprement parler de fonds souverain.

Il reste donc trois sources de capitaux : les investisseurs internationaux, qui sont assez volatiles dans leurs choix et leurs arbitrages (en particulier dans un contexte d’incertitudes réglementaires et macro-économiques) ; les sources publiques de financement qui sont contraintes budgétairement et qui ne peuvent pas remplacer les acteurs privés, et éventuellement le grand public, toutefois échaudé par les FCPI et les expériences passées (et surtout attiré par les avantages fiscaux, qui ont tendance à disparaître).

C’est bien maigre pour assurer une collecte nécessaire de 6 à 8 milliards d’euros par an pour assurer une certaine viabilité au capital-investissement français à long terme.

Comment ont évolué les métiers du private equity ?

Très clairement, trois mouvements ont émergé : une spécialisation, une professionalisation et une diversification des fonctions.

La spécialisation est apparue progressivement par l’émergence d’un « écosystème » du private equity, où les équipes de gestion ont progressivement adopté des stratégies d’investissmeent de plus en plus précises (sectoriellement, géographiquement et par stade de maturité d’entreprise). Cela signifie donc que les professionnels ont petit à petit acquis une connaissance de plus en plus fine de leurs secteurs et ont développé des compétences à la fois d’investisseur mais aussi de conseil opérationnel.

En parallèle, le secteur s’est professionnalisé. Les équipes de gestion délèguent de plus en plus fréquemment des audits très pointus à des sous-traitants. Ce sont des chefs d’orchestres qui font intervenir telle ou telle compétence en fonction de la nécessité du moment (analyse d’opportunité d’investissement, conseil aux sociétés de participations, aide à la cession de ligne de portefeuilles, etc.).

En interne, les sociétés de gestion ont commencé à se structurer au tour de trois pôles qui sont autant de fonctions différenciées : le front office (l’investissement, suivi de participation et la cession de lignes), le middle office (gestion des fonds, levée et liquidation des fonds, relations investisseurs, communication) et le back office (direction financière, contrôle et reporting, déontologie et compliance et d’une manière générale l’administration).

Pourquoi ces carrières sont-elles autant plébiscitées par les étudiants ?

Le private equity offre tout d’abord un cadre de travail particulièrement stimulant : le travail est très varié, il implique beaucoup de relations humaines, les équipes sont de petite taille et les professionnels sont très autonomes. Ensuite, la rémunération est attractive, notamment si le fonds est performant puisque les équipes perçoivent environ 20 % de la performance du fonds au titre du carried interest.

Par ailleurs, la qualité de vie est bonne, puisque si le métier est exigeant, il est rare qu’il implique de rester des nuits entières au travail ou de systématiquement sacrifier ses week-ends. Les professionnels ont par ailleurs une vision très concrète et immédiate de leurs décisions. Les investissements sont menés dans un souci d’efficacité avant tout et la recherche de performance est liée à la croissance des entreprises qui devront in fine être introduites en Bourse ou cédées à des groupes industriels.

Quels sont vos conseils à un étudiant ou à un professionnel qui souhaiterait rejoindre un fonds de private equity ? Est-ce qu’il y a un parcours idéal ?

Un bagage en finance est nécessaire (un Master). Une expérience (stage) en financements structurés (pour travailler en LBO), dans un fonds, ou bien dans un acteur de l’écosystème (transaction services, consulting spécialisé) peut aider.

En capital-risque, il faut souvent une double compétence (pharma/finance pour la biotech, ingénieur/finance pour les technologies…) mais pas nécessairement systématiquement. Une expérience significative en start-up est aussi une bonne chose, ou une expérience opérationnelle dans une entreprise de taille moyenne.

Le private equity est avant tout un métier plaçant l’entrepreneur au cœur de ses préoccupations. Les fonds emploient donc des profils très variés. Le spectre comprend ainsi des anciens militaires qui ont une expérience de meneurs d’hommes et de prise de décisions dans un contexte difficile (notamment pour la restructuration d’entreprise). En capital-risque, les professionnels peuvent être d’anciens entrepreneurs, ou bien des individus qui ont des compétences spécifiques.

C’est cela qui crée de la valeur : l’interaction entre les entrepreneurs et les investisseurs qui ont un parcours riche, souvent atypique et capables d’apporter une expertise, des contacts et une expérience dans le cadre de leur investissement et de leur participation active au succès de ces investissements.

Quel pays cibler pour démarrer sa carrière en private equity ?

Il y a des postes à Paris, c’est un très gros marché. Le secteur respire mieux depuis quelque temps et recrute régulièrement des jeunes diplômés. Historiquement le secteur recrutait sur la partie investissements pour faire de l’analyse.

Aujourd’hui le secteur recrute pour des postes en back office et middle office. En back office, on va recruter des jeunes diplômés en comptabilité, en droit notamment pour respecter toutes les nouvelles règlementations financières. En middle office, il y a des besoins pour gérer les relations marketing et accompagner les gérants. Ce sont des postes bien rémunérés et le secteur est très porteur.

Il peut être difficile pour un jeune diplômé de travailler sur un autre marché européen. C’est une activité de la finance qui s’exporte mal. Les contextes juridiques et fiscaux sont très différents. On recrute des spécialistes locaux. Il y a a aussi des pratiques professionnels assez spécifiques par pays.

On constate qu’il y a des postes en investissements au Royaume-Uni, en Belgique et au Luxembourg. Mais globalement il y a plus d’opportunités sur les postes de CRM et back office.

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